Il y avait un bureau dans le couloir du département de
français que je crus quelques temps occupé par des conseillères d’orientation.
Deux jeunes femmes non francophones, modérément anglophones, souriantes, y
passaient leurs journées à recevoir des étudiants obséquieux et traiter leurs
dossiers administratifs. Je ne sais plus quel étudiant m’a éclairé en me
brossant le tableau très pointilliste du rôle des monitrices politiques. Et il
me fallut encore un peu de temps pour comprendre que le vrai pouvoir était là
et pas aux mains de mon ami le doyen.
Les bourses au mérite, les stages plus ou moins rémunérés, la surveillance des
dortoirs, les laïus prévenant promotion après promotion contre les dérives de
la jeunesse surtout quand elle est au contact de l’étranger, tout ce qui
constituait le carcan conservateur passait par ces deux jeunes femmes,
charmantes. Parfois, en plein cours, une étudiante se levait, son téléphone à
la main et venait jusqu’à moi pour me chuchoter qu’elle devait immédiatement se
rendre au bureau, qu’elle avait
quelque chose de très important à faire – puis elle filait d’un pas pressé,
convoquée par l’urgence d’une mystérieuse mission.
Ce n’est qu’après avoir fait passer nombre d’examens
semestriels de rattrapage, débouchant immanquablement sur l’obtention de la
note minimum quand bien même trois ou quatre tentatives fussent nécessaires,
que je compris le principe qui tenait la boutique. Entrer dans une université
cotée n’est pas facile, coûte très cher, mais cela revient à acheter sa licence
- quel que soit le niveau de l’étudiant. C’est ainsi que les meilleurs comme
les plus nuls obtiennent le même diplôme, la différence étant établie par les
monitrices politiques en fonction du degré de bonne camaraderie et d’obéissance
et de respect et de dévouement au département et donc au Parti et donc à la
Chine. Points, certificats, livrets, relations, contacts, missions,
récompensaient les plus dociles. L’opacité était quasi totale, les résultats
strictement individuels, et si la présence en cours était obligatoire, le travail
tenait du labeur consenti et la qualité relevait d’un don unanimement reconnu
et décrété pour quelques oiseaux rares plutôt que d’une curiosité
intellectuelle ou d’un désir d’expertise. Un parfum de narcose flottait dans
les classes et les couloirs du département.
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