Je n’avais pourtant pas rêvé ces soirées se terminant au
petit matin, à Canton, sur le toit d’une maison transformé en plantation d’herbe
que des chevelus fort accueillant fumaient tranquillement en jouant du reggae
jusqu’au bout de la nuit. Ils étaient bien réels, incroyablement réels, et
pourtant tout à fait absents du paysage. De même que ce jeune chanteur
guitariste du Xinjiang qui jouait du jazz manouche en Perfecto blanc avec une
gueule à la Dylan Highway 61 dans un
petit club de Shanghai et que la rumeur prétendait être le fils du chef de la
police spéciale ouïghoure, l’ethnie turcophone de l’extrême ouest très
implantée à Shanghai. Il était en fait le dealer d’une bonne partie de
l’assistance. Ou encore cette boîte enterrée au fond d’une station de métro qui
ne fut jamais achevée et qui accueillait des DJ du monde entier voués à une
clientèle du même vaste monde mélangé se démenant toute la nuit pour résister
aux assauts des basses qui attaquaient au plexus. De mes yeux vus, la jeunesse
y compris chinoise faisait une pause pour aller se rouler un pétard à même le
comptoir. Non pas qu’il faille se droguer pour appartenir à la jeunesse du
monde mais quel rapport avec la Chine ? Quelle connexion possible avec les
petites choses fragiles posées devant moi, à l’abri des cloisons du labo de
langue, qui tournaient la tête ou appliquaient une main pudique sur leurs yeux
forcément purs et innocents dès que je leur passais un film et qu’un torse
d’homme velu apparaissait, qu’un couple s’embrassait ou qu’un terrible Africain
assombrissait l’écran ? Certaines d’entre elles auraient paru attardées
dans une classe de collège de la France profonde – elles avaient vingt ans en
deuxième année d’université et réussissaient à glisser « Ma mère, cette
sainte » et « Nous, les Chinois » dans chaque devoir. Ce qui
peut se comprendre si l’on pense à la doctrine en vigueur selon laquelle la
femme est plus faible, indéniablement inférieure, et qu’elle coûte un
investissement sans fond ni retour tandis que l’homme, lui… Et elle était tout
aussi réelle cette jeune Chinoise que les néo hippies rastas de Canton mais
tellement plus dominante, massivement dupliquée et entretenue dans ses
certitudes par une propagande qui s’insinuait par tous les pores du système.
« Le confucianisme, c’est ce qui nous apporte cette
formidable unité depuis deux mille ans mais c’est aussi ce qui nous empêche
d’avancer. »
Inutile de rectifier en précisant que Confucius entre et sort
de son placard au gré des intérêts supérieurs de la nation décrétés par le
pouvoir, ni qu’il n’était guère contemporain de Jésus –Christ, pas plus que de
mettre en doute l’unité chinoise, mieux valait se focaliser sur la saillie
critique, courageuse, ce constat d’immobilisme intellectuel et culturel qui
récolta un silence de plomb au beau milieu d’un cours de master où je faisais
étudier des notions tels que conditionnement,
éducation, identité – peu ou prou, un programme de Terminale littéraire
agrémenté d’un projet interculturel non communiqué. Entre les deuxième,
troisième années, et la suite du cursus jusqu’en master, une relative évolution
s’opère. Dès lors, il devient de bon ton d’afficher une critique modérée qui
n’engage pas au-delà de l’effet immédiat. On pourrait positiver, estimer qu’il
s’agit là d’un grand pas, ce serait ignorer l’étonnante souplesse de celui qui
est dressé à l’obéissance par un système passé maître dans le thermo-formatage
des consciences, ce qui se traduit par une étonnante capacité d’adaptation à
l’humeur ambiante, à l’attente du maître,
cinquième dans la hiérarchie du respect absolu dû à l’autorité selon…
Confucius. Nombre de dirigeants occidentaux en rêvent la nuit, parfois le jour,
la Chine l’a fait.
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